Le 12 octobre dernier, le président de la République a présenté un nouveau plan massif d’investissement, France 2030. D’une enveloppe de 30 milliards d’euros sur cinq ans, il est axé sur l’industrie et destiné à soutenir des technologies d’avenir. Divisé en dix objectifs, ce plan à moyen-terme sera certainement le dernier du gouvernement actuel. Dans le contexte de la sortie de crise pandémique, il reste à déterminer s’il répond aux attentes citoyennes, en orientant les fonds vers l’économie de la vie. Il interroge également la gouvernance des plans d’investissements stratégiques.
Les grands plans d’investissements constituent une réponse économique classique face à la crise, favorisant l’innovation et le soutien à la demande. En 2008, le premier Programme d’Investissements d’Avenir (PIA) d’une valeur de 35 milliards d’euros fut ainsi créé pour cofinancer plusieurs milliers de projets. Au travers des fonds des quatre PIA successifs, les grandes universités ont connu une modernisation institutionnelle, tandis que d’importants laboratoires ont été labellisés, se calquant sur les standards internationaux. Le quatrième PIA a été annoncé en début d’année par le gouvernement, en lien avec le plan France Relance. Ces plans ont ainsi pour ambition de produire un effet de levier durable pour l’ensemble de l’économie. Dès lors, l’orientation de ces derniers vers les secteurs de l’économie de la vie est essentielle pour diffuser un nouveau modèle respectueux des intérêts des générations futures.
Mais l’impact des différents PIA est à relativiser : la Cour des comptes note le manque d’évaluation et la multiplication des plans. Dès 2017, Emmanuel Macron avait lancé un autre grand plan d’investissement (GPI). Avec cette juxtaposition, le risque est de diluer les effets des investissements stratégiques, qui ne s’inscrivent pas dans une doctrine globale. La définition de celle-ci pourrait relever du Haut-Commissariat au Plan (HCP), lointain successeur de l’institution créée en 1946 par Jean Monnet. L’idée de planification est en effet revenue dans le débat public à l’occasion de la crise sanitaire et face aux investissements importants à réaliser dans le cadre de la transition écologique.
Aujourd’hui, le HCP est supposé en charge d’animer et de coordonner les travaux de planification et de réflexion prospective, pour le compte de l’État. Ces moyens sont pour pourtant limités, ne disposant pas d’administration propre. Surtout, rien n’oblige le gouvernement à suivre ces préconisations. Il n’a finalement publié qu’une dizaine de rapports depuis sa création. Son manque de visibilité brouille encore davantage la gouvernance des grands plans d’investissements, divisée entre l’Élysée, Matignon avec France Stratégie, et les multiples ministères et instances. Afin de donner de la lisibilité au futur du pays, la gouvernance est ainsi à refonder, en donnant un rôle de pilotage plus clair au HCP.
Par ailleurs, l’analyse des multiples plans en cours révèle leur manque d’adéquation avec les attentes des citoyens, bouleversées par la crise sanitaire. Selon la consultation à grande échelle des citoyens du G20 que l’Institut de l’Économie Positive a réalisé en 2020[1], 96% des interrogés espèrent un changement de société profond. En tête des préoccupations figure la santé (57%), avec la demande d’améliorations sur les thèmes de la qualité des hôpitaux publics, du coût des soins et des conditions de travail du personnel soignant. 68% des citoyens français privilégient des solutions à long-terme, même si elles impliquent des sacrifices à court terme. Pour être mises en place, une doctrine définissant une réorientation globale des investissements est nécessaire. Avec les plans précédemment cités, une amélioration est en cours, mais ils demeurent encore insuffisamment axés sur l’économie de la vie : de nombreux secteurs, tel que la santé, ne bénéficient pas d’un plan d’envergure à long-terme.
À la suite de la vaste consultation des citoyens du G20, l’Institut a élaboré avec un groupe d’experts internationaux 4 recommandations majeures pour une sortie positive de la crise. La première de nos recommandations est de réorienter massivement les investissements vers l’économie de la vie via l’utilisation des fonds souverains, de l’épargne des salariés, du financement public, en s’appuyant sur un cadre méthodologique élaboré par un groupe d’experts dépendant de l’OCDE. Celui-ci permettra à la fois de définir les secteurs inclus dans l’économie de la vie, de suivre et d’évaluer le financement nécessaire, mais aussi de mesurer les avantages de l’investissement dans ces secteurs, et enfin de présenter les possibilités de transformation d’autres secteurs. L’objectif est ainsi de développer dans l’ensemble des États une nouvelle vision de la production centrés sur les secteurs de la vie.
Dans cette optique, les plans d’investissements massifs sont essentiels pour modifier notre économie, et parvenir à un modèle réellement positif. Si les plans présentés récemment réalisent des progrès en s’axant davantage sur la durabilité, l’absence d’une doctrine définie par une gouvernance lisible et le manque de considération pour l’ensemble des secteurs de l’économie de la vie sont regrettables. En effet, une réorientation des investissements vers une économie positive ne peut être obtenue qu’au travers d’une vision à long-terme.
[1] https://www.institut-economiepositive.com/blog/consultation-citoyenne-changements-apres-la-crise-de-la-covid-19/